La position paradoxale de Nature sur l’eugénisme génétique

La réputée revue scientifique Nature appelle l’humanité à se préparer à l’avènement des technologies d’édition génétique, vantées pour leurs prétendues vertus dans la réduction de la probabilité de certaines maladies courantes. Pourtant, les risques l’emportent pour l’heure largement sur les avantages.

Faut-il en avoir peur ou au contraire s’en féliciter ? Le 8 janvier dernier, la revue scientifique Nature se fendait d’un éditorial enthousiasmant à propos de l’édition du génome humain. Autrement dit, l’ensemble d’approches et de technologies permettant, tels des ciseaux microscopiques ultraprécis, de réécrire l’ADN d’un organisme via la fécondation in vitro.

« Bien que plusieurs décennies soient nécessaires avant que la science et les technologies d’édition des gènes humains puissent être appliquées avec précision et à grande échelle, elles sont en marche ; ce n’est pas une question hypothétique », écrit la célèbre revue britannique, commentant une analyse publiée dans ses colonnes le même jour.

Sous la plume de Peter Visscher, statisticien et généticien à l’Université du Queensland en Australie, et de trois de ses collègues, le texte concerné évoque après simulation informatique de la modification de plusieurs variants génétiques en même temps, le potentiel impressionnant de l’édition génétique.

Haro sur une démarche jugée irresponsable

« Les chercheurs ont découvert que, dans certains cas, l’édition d’un seul variant associé à une maladie polygénique peut avoir des effets importants et, à l’exception du trouble dépressif majeur, l’édition de jusqu’à dix gènes associés à une maladie peut réduire sa prévalence sur la durée de vie d’un ordre de grandeur« , note Nature.

Pour la publication spécialisée, il s’agirait d’un « extraordinaire accomplissement ». Elle suggère de se préparer à cette révolution génétique, soulignant « l’importance pour les sociétés de comprendre les avantages et les dangers de ces technologies avant leur déploiement« .

Au grand dam de Françoise Clerget-Darpoux, directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui y voit à travers une intervention dans le journal Le Monde, « une dérive ».

D’après Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’Inserm interrogé par le quotidien français, l’analyse de Visscher et de ses collègues « est exagérément hypothétique et prématurée, donc éthiquement irresponsable ».

Les promesses séduisantes d’une technologie imparfaite

Le Monde indique à son tour qu’il ne saurait en être autrement, rappelant le profil controversé des auteurs de ce texte polémique.

À savoir Peter Visscher, un pionnier des scores de risque polygénique, soit les outils statistiques développés pour prédire les risques de maladies ou certaines caractéristiques d’un individu à partir de son ADN ; et Julian Savulescu, partisan d’une philosophie utilitariste prônant l’accès libre aux technologies disponibles, quitte à en gérer les conséquences ultérieurement.

Leur proposition et sa parution subséquente dans Nature est d’autant plus contestable que le monde reste marqué par l’expérience chaotique du scientifique chinois He Jiankui, condamné à trois ans de prison pour avoir favorisé en 2018, la manipulation du génome de deux bébés jumeaux.

Un processus incomplet et mal contrôlé qualifié par ailleurs de sauvage par la communauté scientifique internationale.

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