En France, l’IA menace d’éteindre les voix du cinéma

La déferlante de l’intelligence artificielle apparaît comme une menace existentielle pour les professionnels hexagonaux du doublage.

Il y a un peu moins de deux semaines, la diffusion par l’entreprise américaine d’intelligence (IA) vocale ElevenLabs d’une bande-annonce du film « Armor » a suscité un tollé dans la profession. L’entreprise américaine avait utilisé une voix clonée d’Alain Dorval, doubleur historique de Sylvester Stallone décédé en 2024.

Si la famille d’Alain Dorval, dont notamment la fille Aurore Bergé, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, a finalement obtenu le retrait de ce projet, arguant d’une initiative validée seulement dans le cadre d’un texte, l’épisode témoigne des batailles à venir pour les acteurs du doublage.

L’inquiétude est palpable en France où cette technologie capable de cloner les voix et de les faire parler dans n’importe quelle langue, menace directement 15 000 emplois, d’après Patrick Kuban, coprésident de United Voice Artists (UVA), coalition mondiale d’associations et de syndicats d’acteurs de doublage, cité par Le Monde.

Ces derniers ont ainsi manifesté début décembre2024 à Paris, aux cris « l’IA dehors, les voix sont nos trésors », afin de réclamer des protections dans leur contrat, en attendant la mise en place d’un cadre législatif propice au déferlement de cette technologie.

Une révolution inévitable

Car oui, le doublage par intelligence artificielle se présente désormais comme une révolution inévitable pour le cinéma et l’industrie des œuvres créatives. « C’est une question de mois, ça marchera forcément dans un an », avance d’ailleurs au Monde, Stephan Kalb, comédien, producteur audiovisuel et membre fondateur d’une association baptisée « Les Voix ».

De quoi potentiellement impacter directement les professionnels français, auteurs de jusqu’à 90% de la traduction de l’anglais vers la langue de Molière. Un secteur duquel dépendent 7 397 intermittents du spectacle et 3 116 permanents en 2023, selon la dernière étude de la plateforme à but non lucratif Audiens.

La situation est d’autant plus préoccupante que pour l’heure, n’importe quel studio étranger peut mettre sur le marché des films doublés directement en français grâce à l’IA, en usant des voix clonées des acteurs américains.

Le défi de la préservation du français

« Comment un robot pourra-t-il avoir assez d’esprit pour traduire des gags intraduisibles, comme ceux de la série Friends sur la culture juive new-yorkaise ?« , se demande Emmanuel Curtil, la voix française emblématique de Jim Carrey et Ben Stiller, rapporté par Le Monde.

« Il faut savoir si à l’avenir on veut des robots ou des humains pour perpétuer convenablement la langue. Ne pas l’altérer, ne pas inculquer un français approximatif aux enfants », indique pour sa part Stephan Kalb, pour qui le défi est celui du rayonnement de la langue française.

D’autant que, à en croire ce dernier, la menace technologique se double d’une utilisation frauduleuse grandissante, avec le moissonnage déjà en cours des films et séries par des sociétés en Ukraine, en Israël ou à Dubaï afin d’entraîner l’IA génératives.

Laisser un commentaire