La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne le système judiciaire français pour ses « lacunes » et ses « défaillances » dans le traitement d’une affaire de viols présumés. En cause : une interprétation jugée problématique de la notion de consentement.
La législation française ne comprend aucune référence expresse à la notion de consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles. C’est l’un des enseignements de l’arrêt rendu jeudi 4 septembre 2025 par la Cour européenne des droits de l’homme.
À l’origine de cette décision lapidaire et particulièrement embarrassante pour la France, « patrie des droits de l’homme« , figure la plainte d’une préparatrice en pharmacie, identifiée comme E.A.
Cette femme, qui travaillait sous l’autorité d’un chef de service hospitalier, K.B., entre 2010 et 2013, avait dénoncé avoir subi des violences sexuelles et psychologiques répétées dans un contexte d’emprise professionnelle et personnelle.
« Il y avait des pratiques perverses et des menaces, je ne voyais pas le mal. Je ne savais plus ce qui était normal. J’ai tout accepté », témoigne cette femme née en 1983, décrivant un contrôle coercitif de sa vie privée et des relations sexuelles forcées sur le lieu de travail, entre autres.
Une justice française aveugle aux rapports de domination
E.A., en contrat précaire, dépendait professionnellement de son agresseur présumé. Cette situation de vulnérabilité économique et hiérarchique avait créé, selon elle, un contexte de contrainte morale aboutissant à un « quasi-état de sujétion« .
Une expertise psychologique réalisée en décembre 2013 avait même décrit la jeune femme comme « détruite au plan de son équilibre psychique » et souffrant d’un « syndrome de l’otage ». Autant de facteurs que la justice française n’a pas pris en compte en réduisant la plainte pour viols aggravés à de simples délits jugés devant le tribunal correctionnel.
Condamné en première instance à dix mois de prison avec sursis, K.B. a finalement été relaxé en appel, la cour justifiant sa décision par l’existence d’un « contrat maître-chienne » signé en 2013 par les deux protagonistes engagés dans des pratiques sadomasochistes. Pour les juges d’appel, ce document valait « acceptation » des violences subies.
Un arrêt qui redéfinit les contours du consentement
Dans son arrêt, la CEDH pose un principe fondamental : « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances ».
Elle dénonce le fait que les allégations de viols et d’agressions sexuelles n’ont été évoquées que de façon incidente lors des investigations, qui se sont concentrées uniquement sur des qualifications de violences volontaires et de harcèlement sexuel, malgré « le caractère sexuel des traitements subis et leur particulière gravité ».
La Cour européenne considère par ailleurs que l’usage du « contrat maître-chienne » pour justifier un consentement global constitue une forme de victimisation secondaire, ce raisonnement étant « culpabilisant, stigmatisant et de nature à dissuader les victimes de violences sexuelles de faire valoir leurs droits ».
La France condamnée à verser 20 000 euros à E.A. au titre du dommage moral plus 1 503,77 euros de frais de procédure, se trouve ainsi mis face à ses responsabilités vis-à-vis des femmes et autres victimes potentielles.