Faut-il brûler la Cour européenne des droits de l’homme ?

La juridiction internationale chargée de protéger les droits fondamentaux en Europe est attaquée dans ses fondements par une coalition de neuf pays de l’Union qui l’accusent d’entraver l’action des États en matière migratoire.

Sale temps pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La juridiction créée en 1959 par le Conseil de l’Europe fait l’objet d’un assaut inédit de la part de ses propres États membres, qui lui reprochent d’empiéter sur leur autorité dans ses interprétations, notamment en matière migratoire.

Ce sujet est devenu l’obsession d’une large partie de l’Europe, toutes tendances politiques confondues. Celle-ci ne s’embarrasse plus de précautions pour reprendre les thèses populistes de l’extrême droite, revendiquant « le droit » de décider à sa guise du sort des migrants.

Au grand mécontentement de ces courants, la CEDH se pose en garante des principes fondamentaux des droits de l’homme. Ses arrêts obligatoires (1 102 concernant plus de 10 000 requêtes en 2024) contraignent ainsi les États à modifier leur législation et leurs pratiques administratives.

Cette situation contribuerait, selon la coalition réunissant l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la République tchèque, à modifier « l’équilibre entre les intérêts qui devraient être protégés ».

L’article 3 dans le viseur

« L’évolution de l’interprétation de la Cour a, dans certains cas, limité notre capacité à prendre des décisions politiques dans nos propres démocraties », affirment les États concernés dans une lettre ouverte adressée à la CEDH le 22 mai dernier.

Au cœur de cette controverse se trouve l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit formellement la torture et les traitements inhumains ou dégradants, sans exception.

Selon Carlo Fidanza, chef de la délégation de Fratelli d’Italia au Parlement européen, interrogé par Le Monde, cet article serait interprété de manière « très extensive » par la CEDH, entravant les mesures de reconduite à la frontière.

Le Danemark, dont la législation est la plus restrictive en matière d’immigration en Europe, s’insurge de son côté contre les contraintes imposées pour déchoir de leur citoyenneté les « étrangers criminels » ou pour les expulser.

L’architecture européenne des droits en péril ?

Les neuf États revendiquent « une plus grande marge de manœuvre au niveau national pour décider quand expulser des ressortissants étrangers criminels ». Cette offensive soulève des questions fondamentales sur l’avenir de l’architecture européenne des droits de l’homme.

« L’article 3, comme le principe de non-refoulement en cas de risque de torture, est une norme impérative du droit international. Voulons-nous supprimer ce droit ? », s’interroge Francesca De Vittor, chercheuse à l’Université catholique de Milan, interrogée par Le Monde.

« La CEDH n’a jamais connu un tel niveau d’attaque. Le risque, c’est que cela mine l’autorité des décisions de la Cour. Ses juges ne font qu’appliquer le droit », observe un spécialiste du droit d’asile contacté par le quotidien français.

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